Au Togo, les résultats du Brevet d’Études du Premier Cycle (BEPC TOGO), session 2024, ont révélé une baisse inquiétante du taux de réussite national, passant de 81% en 2023 à 48,18 % cette année. Depuis la proclamation officielle des résultats le 30 juin 2024, l’opinion nationale togolaise s’interroge sur les raisons d’une telle régression en seulement 12 mois. Du journaliste au citoyen lambda, en passant par les hommes politiques et les associations, chacun tente de donner, selon lui, les raisons qui peuvent expliquer une telle “débâcle nationale” des néo-lycéens. L’intérêt que suscite ce sujet nous a amenés, en qualité de praticien de l’éducation, à élucider, sur la base de raisons objectives, l’opinion publique et à engager quelques pistes de réflexion. Voici donc, de notre point de vue, les raisons objectives de la contre-performance des élèves au BEPC 2024 au Togo.
1. Les effets de la crise de Covid-19
En effet, les élèves candidats au BEPC 2024 venaient d’entrer au collège lorsque survint, en 2020, la crise pandémique de la Covid-19. Cette crise a entraîné partout dans le monde, et donc au Togo aussi, la fermeture des classes afin de contenir la propagation et la contamination. Au Togo, cette fermeture des classes avait duré presque deux mois. Pour atténuer les effets sur l’acquisition des compétences des apprenants, les autorités éducatives avaient organisé des sessions de cours par la télé et la radio. Mais dans un pays où la fracture numérique est marquante entre les zones urbaines et les zones rurales, on peut affirmer sans risque de se tromper que les apprenants des milieux ruraux n’ont pas eu le même accès à ces cours que leurs camarades en ville. D’ailleurs, les statistiques de réussite entre les différentes régions éducatives (Centrale 21%, Plateau Ouest 29%, Plateau Est 31%, Savane 31%, Maritime 37%, Kara 39%, Grand Lomé 66%) illustrent bien cette analyse. Plus le milieu est urbain, plus le taux de réussite est élevé.
2. Le relèvement des coefficients des matières scientifiques et littéraires
À partir de la rentrée scolaire 2022-2023, et dans le cadre de réformes qui s’étaleront sur plusieurs niveaux au fil des années, de nouvelles orientations pédagogiques ont été introduites dans l’enseignement secondaire général. Il s’est agi notamment du relèvement des coefficients des matières scientifiques (Mathématiques et Physique-Chimie-Technologie) et des matières littéraires (Français, Anglais) dans les classes de 3ème et 4ème. Ce relèvement de coefficient a donné à ces matières une plus grande importance dans le calcul des moyennes et des classements des élèves. L’augmentation des coefficients a pu aussi entraîner une pression supplémentaire sur les élèves, en particulier ceux qui ont des difficultés dans les matières concernées, ce qui peut augmenter le stress et l’anxiété.
3. Congés de détente
Alors que les élèves étaient habitués aux congés de fin d’année et de Pâques, l’année scolaire 2023-2024 a connu une nouveauté principale dans le système éducatif national togolais : les congés de détente, qui ont duré environ 20 jours, en dehors des congés classiques. Bien que ces congés permettent le repos et la récupération, l’amélioration de la santé mentale et l’opportunité d’apprentissage informel, entre autres, les congés de détente au Togo n’ont visiblement pas comblé l’objectif de l’opportunité d’apprentissage informel. Ils ont plutôt conduit à une perte d’apprentissage, à un déséquilibre du rythme de vie scolaire, un manque de supervision et d’activités structurées et une reprise un peu difficile, le retour à l’école après une période de congé pouvant être difficile pour certains élèves, nécessitant une période d’adaptation pour se réhabituer aux routines scolaires.
4. Les grèves des enseignants et le reversement d’un certain nombre dans l’administration
La nomination en 2020 du Professeur KOKOROKO à la tête du ministère des enseignements primaire et secondaire a certes impulsé de profondes transformations au sein de ce ministère, qui regagne de plus en plus en réputation et en discipline. Bien que les différentes réformes soient salutaires, leurs méthodes d’application sont souvent décriées par les acteurs et la population. Monsieur Kokoroko, connu pour sa rigueur et son application stricto sensu de la loi, ne fait pas que des heureux mais aussi des mécontents. Comme le dit un adage populaire, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Parmi les œufs cassés, on trouve des grèves d’enseignants étouffées et interdites, et plusieurs enseignants reversés dans l’administration pour une raison ou une autre. Ces événements ont à coup sûr porté un coup dur à la motivation des enseignants en charge de l’encadrement pédagogique des élèves, lesquels sont donc des victimes collatérales. Il faut aussi souligner les différentes vagues de grèves de l’année scolaire 2022-2023, qui ont vu des foules d’élèves défiler dans les rues pour réclamer le retour de leurs enseignants dans les salles de classe. Ces élèves, dont beaucoup étaient en classe de 4ème, se sont retrouvés en 3ème, donc candidats au BEPC, sans avoir acquis toutes les compétences nécessaires antérieures à cette classe.
En définitive, la contre-performance des élèves au BEPC 2024 au Togo résulte donc de plusieurs facteurs complexes et interconnectés. La pandémie de Covid-19 a eu des impacts durables, exacerbés par la fracture numérique entre les zones urbaines et rurales. Les réformes pédagogiques, bien que nécessaires, ont introduit de nouvelles pressions sur les élèves. Les congés de détente, bien intentionnés, n’ont pas produit les effets escomptés en matière d’apprentissage informel. Enfin, les grèves des enseignants et les perturbations administratives ont sapé la motivation et la continuité de l’enseignement. Pour inverser cette tendance, il est crucial de développer des stratégies inclusives et équilibrées qui tiennent compte des réalités locales tout en maintenant des standards élevés de rigueur et d’excellence éducative.
Kossi Edem YOVOGAN (KEY)
Spécialiste en sciences de l’éducation et de la formation
